L’éducation, ou l’art de l’accompagnement initiatique

Dans toutes les sociétés traditionnelles, il existe des initiations qui, lors des principaux passages de la vie, ritualisent la mort au passé et la naissance à un nouvel état d’être. Dans certaines initiations pubertaires africaines, l’adolescent est d’abord arraché au monde des femmes dans lequel il a passé son enfance ; des rituels funéraires sont pratiqués, les femmes le pleurent comme s’il était mort. Puis il est emmené dans un lieu obscur qui évoque le caveau (grotte, caverne, fosse) où il reste enterré plusieurs jours, sans manger ni boire. Il est ensuite accueilli de manière festive par le monde des hommes ; dans certains cas, l’initié reçoit une coupe dans laquelle les hommes de la tribu ont versé leur sang ; il doit le boire, afin de réaliser charnellement qu’il ne se nourrira plus de l’énergie des femmes et des mères mais de celle des hommes, au monde desquels il appartient désormais. Lire la suite

Être libre aujourd’hui

« Liberté : obéissance à qui l’on est.

Esclavage : soumission à ce que l’on n’est pas.

Il est à noter que bien des esclaves se croient libres parce qu’ils se prennent pour ce qu’ils ne sont pas. »

Tariq Demens

La liberté des Modernes peut seulement se comprendre sur le fond des luttes de libération politique nées à la fin du siècle des Lumières. Avant elles, l’homme était un sujet. Ce mot dérive du latin sub-jectum, lequel signifie « ce qui se tient sous ». Sujet est celui qui est assujetti, littéralement sou-mis, à un souverain. Ce dernier tient lui-même sa légitimité d’une soumission, puisqu’il obéit à Dieu, source de tout pouvoir. Aucun homme n’est donc maître de sa propre vie : l’être humain est fait pour obéir à ce qui le dépasse. Lire la suite

La joie n’a pas de cause !

Des émotions nous traversent à chaque instant, causées ou réveillées par des événements du monde. Certaines sont agréables, elles nous donnent de la joie, d’autres désagréables et nous donnent de la tristesse. La tendance naturelle est bien sûr de préférer les premières. Or c’est là le plus subtil des pièges. Car mon rapport au monde se réduit alors à deux pauvres critères : j’aime, je n’aime pas. Si je n’aime pas, je suis malheureux. Mais si j’aime, je ne suis pas heureux pour autant car je suis inquiet de perdre. Perpétuellement tendu vers ce que j’aime et raidi contre ce que je n’aime pas, je ne suis jamais détendu ni à l’aise. À préférer la joie à la tristesse, je ne suis jamais véritablement dans la joie. En outre, à perpétuellement chercher dans le monde des causes de joie et à fuir les causes de tristesse, je finis par ne plus regarder le réel qu’en fonction de cette opposition. Or le monde est infiniment plus riche que ce regard qui l’enferme dans la dualité du « j’aime / j’aime pas ». D’avoir des préférences, je perd la grâce du monde. Lire la suite

Des sens saturés de non-sens !

Il n’est aucune expérience qui s’oppose au cheminement spirituel. La joie est un merveilleux sentier vers le divin, mais la souffrance aussi. Découvrir sa vérité intérieure est une réalisation, se perdre est parfois un raccourci vers soi-même. Si la rigueur d’une morale ou d’une discipline a son utilité, se découvrir incapable de vivre selon ce que l’on sait juste est aussi une opportunité. Réussir brillamment est une voie, échouer lamentablement en est une autre. La sainteté est admirable, mais le crime, à la faveur du repentir, est parfois le chemin qui y mène. Pour un être en chemin, toute expérience est matière. À une condition, toutefois : que l’on vive avec intensité. Car le seul véritable obstacle à l’accomplissement humain, c’est précisément le refus de vivre des expériences. Celui-ci a pour nom tiédeur. Lire la suite

Être soi-même

Qui sommes-nous ? Cette question, cette quête, ce mystère est celui de notre humanité. Pour vivre en société, nous avons dû apporter à cette interrogation des réponses, dont la synthèse constitue notre moi. Mais cette identité, nous l’avons intériorisée à partir du regard des autres sur nous, particulièrement le regard des parents et des figures majeures de l’enfance, et aussi des récits que, très tôt, « on » a raconté à notre sujet. Ce « moi » que nous croyons être est donc conditionné, un personnage fictif ; fabriqué en réaction aux contraintes de nos premiers environnements. La caractéristique principale de ce personnage auquel nous sommes identifié est d’être défini. Nous sommes capable d’en donner une description, car il est dans une large mesure identique à lui-même : il y a un noyau dur en nous, qui est, croyons-nous, véritablement nous, et qui n’est pas susceptible de changer. C’est notre identité (du latin idem, le même), qui nous permet de nous sentir en sécurité, notamment parce que, étant prévisible, nous sécurisons les autres. Ce que nous avons été, nous le sommes et le serons. Lire la suite

L’amour est un oui sans pitié

Le véritable amour est un oui inconditionnel à l’autre. Qu’est-ce qu’un autre ? Ce qui n’est pas même : ni moi ni comme moi. L’autre m’échappe. Au-delà de moi, ne pouvant être compris dans les limites de mon savoir, il est mystère. L’amour est un oui sans condition au mystère qu’est l’autre. Autrui n’a pas à être comme moi ni comme je veux qu’il soit : il n’a pas à correspondre à mes attentes. La première étape pour apprendre à aimer est donc de lâcher ses attentes. Celles-ci sont fondées sur le manque. Il y a en nous, gravée au cœur de notre chair, une souffrance qui correspond à tous nos manques passés. Les attentes que nous projetons sur les autres sont des stratégies de soulagement de cette souffrance : nous voyons en l’autre l’objet qui va pouvoir nous combler. Cette femme dont je suis amoureux, je l’associe à ma mère dont l’amour m’a fait défaut sous une forme ou sous une autre, et je lui demande inconsciemment de me donner ce dont j’ai manqué. Nous avons tous de multiples carences affectives, car le manque est inhérent à la condition humaine. Nos attentes, nos projections sur autrui témoignent d’un refus de cette sensation de manque. Lire la suite

Faut-il penser avant d’agir ?

Il faut penser avant d’agir. Quoi de plus évident ? Et pourtant, voilà la plus terrible de nos idées reçues, une conception de l’action source d’actes stériles, voire meurtriers.

Quelle est cette conception ? Pour agir, il faut penser : d’abord se faire une idée de ce qu’on veut atteindre, et l’ériger en but ; ensuite, se représenter les moyens pour atteindre ce but. Cela ne va-t-il pas de soi ? Lire la suite

Le maître de soi

L’expression “je me maîtrise” propose un intéressant dédoublement de la personne : il y a “je”, il y a “me” — le je qui maîtrise, et le moi qui est maîtrisé. Pour comprendre ce que signifie la maîtrise de soi, il s’agit donc de savoir qui maîtrise qui. Qui est le maître, et qui est le disciple ?

En général, on conçoit la maîtrise de soi comme l’attitude de celui qui ne cède pas à ses impulsions. Qui est alors le maître ? Le moi. L’être humain est considéré comme séparé en deux : il y a d’un côté le monde de la pulsion (une partie que l’on a longtemps tenu pour “animale”), de l’autre celui de la subjectivité : la partie rationnelle et volontaire — ce que l’on désigne lorsqu’on dit “moi”.

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Penser en bonne santé

On entend souvent les chercheurs de spiritualité discréditer la pensée. Il faudrait « sortir du mental » et ne plus penser. Certes, prétendre guérir de la bêtise par ablation du cerveau est une stratégie radicale. Mais nous avons besoin de penser.

Car l’âme humaine se nourrit de sensations, d’impressions, de ressentis, mais aussi de sens. Penser, c’est se nourrir de sens. En ce monde où les propositions de sens n’ont jamais été si diverses et si nombreuses, discerner celles qui correspondent à la vérité profonde à l’oeuvre dans notre vie est indispensable. Il s’agit donc, non de ne plus penser, mais de penser bien. Or notre pensée est malade. Du matin au soir, elle est livrée à un fonctionnement automatique que nous sommes incapables d’arrêter: ça pense. Quel est le principe de cette mécanique ?

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