SOUFFRANCE, GUÉRISON

L’âme n’est jamais malade que de ses efforts pour ne pas rencontrer la souffrance.

Le lieu où ça souffre est le même que le lieu où ça jouit : c’est le lieu où ça vit — la chair.
Le refus de la souffrance est incapacité à jouir et refus de la vie.

Une souffrance n’est insupportable que dans la mesure où elle est vécue tellement accompagnée de son refus qu’elle en semble indissociable : alors, la possibilité de son acceptation n’apparaît plus ; le chemin de la joie est coupé. Une souffrance quelle qu’elle soit, vécue sans refus, est non seulement supportable, mais encore un chemin vers la joie.

Le lieu d’où nous nous demandons de quoi nous souffrons est cela-même dont nous souffrons.

Suis-je obligé d’être malheureux quand rien ne va comme je veux ?
Je ne reçois aucun ordre des événements.

Aimer son corps, c’est aimer son histoire. Non les récits de son histoire. Mais les strates du passé dont sont faites les mémoires du corps. Aimer les poupées russes, qui, simultanément présentes mais pour la plupart invisibles, sentent, ressentent, éprouvent, sont passibles à chaque instant, en rapport avec le moindre événement de la vie actuelle.

Parce que le oui transforme tout, il n’est rien à quoi l’on ne puisse dire oui.

On ne manque jamais que de ne pas donner ce dont on croit manquer.

La joie n’est pas préférable à la souffrance. La joie, c’est ne plus préférer.

Confier la souffrance au corps : c’est redevenir entier. Par ma coïncidence aux flux du sentir, la présence irrigue à nouveau les espaces charnels désertés qui morcelaient mon être. Corps mû par l’unité : Je suis la danse.

La souffrance est une interprétation de l’intensité. La joie en est une autre.
Souffrir ma souffrance, mais ne pas souffrir de ma souffrance.

Renoncer à toute intervention sur le flux d’affects dont je suis l’espace.

La joie est toute petite : c’est s’oublier. Noyau d’indifférence à soi, invisible à l’ego qui n’est que souci de soi. Décevante. Mais toute vraie puissance en procède.

La souffrance n’est ni bonne ni mauvaise. La juger, c’est tenter de s’en soulager. Elle vient, elle est là, elle est partie. Pas de quoi en faire un récit. Simple état transitoire de ma chair, dénué de sens comme de cause. Aimer sa propre chair, c’est vivre la souffrance sans se protéger.

La souffrance est à vivre avec curiosité.

Seule crée la folie l’incapacité du monde à la vérité.

La joie accompagne la tristesse accueillie ; car la tristesse est un état du vivant, et la joie se réjouit du vivant. Faut-il être obnubilé par le refus de la tristesse pour ne plus sentir la joie du vivant ! La joie se donne avec le moindre acquiescement au sentir.

La vie n’a pas de sens lorsqu’on attache de l’importance à ses propres souffrances.

S’accueillir est la condition nécessaire de l’authentique changement. Car ce qui seul peut et doit changer dans le rapport à soi, c’est précisément la volonté de se changer soi-même. La sommation de se poser en origine de soi est le conditionnement suprême de la modernité, on le nomme subjectivité.
Quand cela est lâché, quand le sujet, principe fictif d’une identité imaginaire, se retire, alors tout est changement.

L’espoir empêche de vivre.
Tout le sens de ma vie est donné dans ma vie d’aujourd’hui. Je reçois à chaque instant tout ce qu’il m’est permis d’espérer.
Espérer, c’est refuser le don du présent.
Tant que du soulagement est accroché à une éventualité, fasse le Ciel qu’elle ne m’échoie pas !
Il n’est d’autre voie que de vivre maintenant ce dont je me soulage en espérant.
Pour cela, désespérer.

De peur de le rendre fou, ne lui en dites rien : il n’est à craindre que pour celui qui craint.

Depuis le ventre maternel, ce qui protège un être humain est toujours aussi sa prison.

Tout ce que l’on peut quitter est prison.
Que ne peut-on pas quitter ?

Douleur et joie s’unissent dans l’intensité du vivant.

La vérité guérit, mais elle ne soulage pas.

Rien n’éloigne plus du bonheur que de penser l’avoir trouvé, si ce n’est croire pouvoir l’obtenir.

La souffrance est la porte de l’instant. L’instant est la porte de la joie.

Ne cesse jamais d’observer ceci : avec la souffrance, tu peux être heureux ; si tu la refuses, tu es en enfer.

Accueillir la souffrance est nécessairement au-dessus de mes forces, puisque moi s’est intégralement construit sur le refus de celle-ci.
Le choix de l’intensité est au-delà du moi.

Sans tiédeur, la personnalité rencontrera nécessairement la grande peur contre laquelle elle s’est construite. Grâce du vivant.
Sans tiédeur, je n’éviterai les événements qui me terrifient que si je traverse intérieurement tout ce qu’ils me feraient.

Nos angoisses sont des métaphores de la grande peur contre laquelle notre personnalité s’est construite. Nos haines et nos rejets en sont des métonymies. Stylistique de l’ombre.

Toute souffrance est du corps. Le « psychisme » n’est autre qu’un système de récits qui attache toute sensation à des circonstances du monde. Désadhérer à ces récits libère la conscience du psychisme en détachant la chair du monde. Le sentir est détachement.

Sois un avec l’enfer car l’enfer c’est être deux.

Si tu cèdes à la pulsion, tu ne sens plus rien, tu es mort un moment ; si tu n’y cèdes pas, tu souffres, tu pleures, tu es vivant.
Si tu es vivant, joie !

Tout ce que je cherche m’est donné ici et maintenant, seul le chercher m’en sépare.

Mes tentatives pour m’emparer de ce qui aspire à se donner à moi me rendent inapte à le recevoir.

Renoncer à manipuler le monde pour régner sur mes états : premier détachement, celui de la conscience et du monde.
Renoncer à intervenir dans le flux d’affects dont je suis l’espace : second détachement, celui de la conscience et du sensoriel.
Libre du monde et du vécu, la conscience se dévoile à elle-même.

L’illusion que tendre vers des objets est la juste attitude existentielle est dûe au fait que la possession de l’objet est le moment d’une suspension de la tension, qui ne dure que le temps de prendre conscience que ce dernier n’est en aucune manière source de l’apaisement recherché.
La possession d’un objet ne me détend que dans la mesure où elle est le seul instant de ma vie où je ne tends plus vers la détente que doit me procurer l’objet.

La thérapie commence lorsqu’on met des mots sur le pur sentir ; la guérison quand on cesse de le faire.

Qu’est-ce qui peut m’empêcher d’être heureux sans raison ?

Qui sait être heureux de rien est heureux de tout.