QUI SUIS-JE ?

L’art d’être soi-même est celui de n’être pas ce que l’on croit.

Le passé est une maladie incurable, n’en déplaise à la psychanalyse. Son nom : vivre à reculons. Son symptôme : se heurter aux rencontres plutôt que leur ouvrir les bras.

La jeunesse est une qualité infinie : être sans passé.

« Je ne sais rien de vous » — car vous êtes un être absolument singulier ; « je ne crois pas un mot de ce que vous me dites sur vous-même », car votre singularité échappe au langage en tant qu’il se donne de prime abord comme un réseau de codes.
Chaque être humain appelle pour son expression une langue nouvelle. C’est pour cela qu’il y a la littérature, et tant d’échecs en littérature.

L’ego est à l’être authentique ce que la vulgarisation est à la science.
L’ego est une vulgarisation de soi : exister sur un mode imagé ; se vendre. L’ego est un marketing de soi.
L’ego est à l’être authentique ce qu’un slogan publicitaire est à un clair de lune dans le silence de la nuit.

Le sentiment du moi ne se maintient que par une contraction incessante des muscles internes de tout le corps, ceux qu’on ne peut actionner volontairement, contraction qui transforme l’espace disponible que l’on est en objet dense et séparé. Se détendre vraiment, c’est abandonner l’ego.

On ne hait que ce qu’on est.

Connaissance de soi : ne plus chercher le même, mais non pas chercher l’Autre. Chercher cela pour qui tout est Autre.

Ton visage vrai n’est donné qu’à l’autre. Oublie-le. N’en-visage que l’autre.
Beau est le visage qui s’oublie pour un autre visage.

Le seul horizon du moi est sa propre souffrance.

Le moi est fait du refus de soi.

Si je regarde honnêtement tout ce par quoi je suis traversé, je ne reconnais rien qui m’appartienne. Même pas « moi ».
Même « je désire » est faux. Le désir est sans sujet. C’est après l’acte que l’on reconnaît le passage du désir.

Ce qui me traverse n’est rien de moi. « Moi » fait partie de ce qui me traverse. « Me » ?

Singularité : je suis un être unique.
Au sein du monde mais contre lui, l’ego ne sert qu’à délimiter l’espace de la singularité. Par malheur, ensuite, il l’occupe. La singularité, pourtant reconnaissante, a le plus grand mal à lui signifier son congé.

Le moi est un enfer que l’on ignore tant que l’on n’a pas pressenti l’éden de son retrait.

L’humain est combustible n’aspirant qu’à devenir feu.

La spiritualité est ce qui advient de moi-même dans l’espace du je ne sais pas.

Finitude de la conscience : l’espace du il y a ne produit pas ce qu’il y a.

Pourquoi est-ce alors que je suis un avec tout donné, au point qu’il n’y a plus aucun je à qui cela est donné, que se révèle un Je qui est l’autre absolu de tout donné ?

Dès que je ne prends pas toute la place à l’intérieur de moi se produit l’inattendu.

Chercher sa singularité en se différenciant est voué à l’échec. En prenant parti, dans mes idées, mes goûts et mes comportements, je m’enferme dans la particularité, confondant sans remède l’unique que je suis avec un ensemble de particularismes dont aucun n’est mon apanage et dont la synthèse ne peut atteindre qu’une vague originalité.
La différenciation me relie aux autres en tant qu’ils sont les mêmes et m’en sépare en tant qu’ils sont autres ; elle me rapporte à moi-même en tant qu’identité et me coupe de ma véritable singularité.

Se particulariser, c’est prétendre être l’origine de sa propre singularité. Or, la singularité ne se manifeste que dans le retrait du moi-origine.

Tout ce qui n’est pas singularité est symptôme.

L’inconscient est la différence entre ce que l’on fait et ce que l’on croit faire.

Que le moi se retire est une chose ; une autre est ce qu’il devient : un « il », ou un Toi ?

La spiritualité authentique, ce n’est pas être un avec tout de telle sorte qu’il n’y ait plus l’autre ; c’est être un avec l’autre. Ce n’est pas supprimer la dualité au profit de l’Un, c’est être un avec le fait de la dualité pour que soit le trois qui unira les deux. Ce n’est pas l’autistique régression dans l’océan du Même, c’est aimer : risquer à chaque instant tout de soi-même afin que soit l’Autre.

Aucun désir d’être un nautiste du sentiment océanique.

Je suis : source de tout mais origine de rien : Fils.

L’homme ne se sait qu’en tant que même, et ne se connaît que comme autre.
La connaissance de soi est connaissance du toujours autre que soi-même. On ne se connaît qu’en créant.

Rien de ce que tu es n’est qui tu es.