MODERNITÉ

L’homme moderne a fait de son intelligence un dieu, sans se poser la question de savoir s’il s’agissait là d’un choix intelligent. Or ce n’est pas le cas, et l’homme adore aujourd’hui ce dont il est le plus dépourvu.

J’appelle modernes ceux qui croient qu’en comprenant un moteur ils sauront où va la voiture.

La lucidité est une lumière qui ne sait éclairer que le déjà-vu. Le comble de l’aveuglement est d’être dupe de sa propre lucidité.
C’est celui de l’homme qui s’est nommé « moderne ».

L’homme a des jambes pour se perdre. C’est pour cela que l’homme moderne veut les utiliser le moins possible.

À l’heure où les repères égarent, le seul repère est l’égarement.
S’égarer pour ne pas se perdre.

La modernité est le temps où le bonheur est obscène et la joie un devoir.

La modernité ne laisse aux plus doués de ceux qui ne dépassent pas son horizon que le cynisme et l’ironie.

Poser, c’est s’inscrire dans un système de dépendance : la pose n’existant que par le regard des autres, ceux-ci sont en droit d’exiger de moi une reconnaissance de leur propre pose en échange de celle qu’ils me consentent.
La pose est l’essence de l’ego, la racine de l’illusion existentielle.
Le monde est le système de poses le plus englobant.

La toute-puissance des marchands se nourrit de la volonté de toute-puissance de chacun sur les états qui traversent sa propre chair.

Le miracle, c’est la Vie, la Vie créatrice qui métamorphose à chaque instant ses créations : mort-naissance à chaque instant. Tout est miracle. L’anormal, est ce qui se fige, se cristallise, s’arrête : l’objet du savant. Le Moderne habite à ce point le sous-naturel qu’il a nommé surnaturel la simple norme du vivant.

Non réenchanter le monde, mais s’enchanter d’un monde désenchanté.

Je reproche aux nihilistes gonflés d’eux-mêmes de ne pas vivre le néant dont ils font vitrine. Ils se soulagent du désespoir en le propageant. Qu’ils naissent au rien qu’ils sont, ils se découvriront espace pour de l’autre qu’eux-mêmes.
Vécu, le nihilisme est dépassé.

Perte de soi irrémédiable, pour celui dont le système de défenses est validé par l’environnement au point de lui offrir le triomphe. Le monde malade sélectionne des malades adaptés qui ne font qu’aggraver son dérangement. L’intellectuel réfugié dans la pensée pour ne pas vivre son incarnation devient le Prince de ce monde à l’envers sur lequel, en appliquant ses idées, il projette son refus d’être vivant. Ainsi, inexorablement, descend-on.
Mais toi ?

La confusion du symptôme et de la maladie est la maladie de la modernité.
L’humanité meurt de combattre ce qu’elle devrait entendre.

L’ego est une fiction nécessaire. Aucune consistance ontologique, mais la tâche de délimiter un espace pour l’émergence de la singularité.
En situation de Retrait du fondement ontologique, il est demandé à l’ego de tenir cette place. L’ego qui n’a pas suffisamment de consistance pour s’assurer de sa propre existence se retrouve à porter celle du monde !
Et l’on s’étonne que le moderne soit tendu.

Le sage contemple l’infini.
Le saint porte l’infini dans le fini.
Le héros est porté par l’infini.
Une espèce inédite unira les trois éveils ; on le nommera : l’Humain.
Appel d’aujourd’hui.

L’initiation du héros : épreuve du viscéral, affronter charnellement le monstre féminin.
Œdipe l’élude, le voici plongé dans le chaos pulsionnel. Où l’on voit que la figure de l’intellectuel se construit sur le fantasme du triomphe héroïque sans l’héroïsme. La couronne et la princesse sans l’étreinte du dragon. Maman, corps sans autre dont je suis Dieu.
Mais en ce lieu précis du plus grand péril humain est la plus haute voie : Œdipe initiera Thésée.
Naturellement, je ne parle ici que de la modernité.

Le moi des Modernes, plutôt que de constater son impuissance à être l’origine de son propre bonheur, préfère mettre son bonheur dans le fait d’être l’origine de soi.

Le savoir construit un monde qui n’a pas de sens, s’accordant parfaitement avec les métaphysiques qui proposent des moyens pour en sortir. Le parfait Postmoderne est confortablement scientifique et bouddhiste.