ÉCRITURE, ÉCRIVANITÉ

Écrire, c’est conquérir sur l’imposture généralisée quelques moments d’intensité qui laissent une trace.

Le métier d’écrivain est une lutte contre l’écrivanité.

L’écri-vain écrit dans une langue morte.

Ceux que le siècle appelle ses penseurs ne sont qu’idéologues des courants dominants. Oser la solitude : penser hors de l’événement.

L’écrivain qui sait ce qu’il dit ne dira jamais que ce qu’il sait — un professeur de ses propres certitudes.

L’écri-vain a besoin que la stratégie qu’il adopte ait déjà remporté une bataille. C’est pourquoi il a toujours une guerre de retard. Mais les lauriers sont décernés par d’autres écri-vains, et l’on se fait rare sur le terrain du vrai combat.

L’écri-vain a le rapport à la vie propre aux gens de son milieu.
Appartenir au milieu littéraire interdit la littérature.

L’écri-vain n’est pas homme à se laisser dépasser par ce qu’il écrit.

Le talent d’un écri-vain est une putain dont le maquereau s’appelle ego.

L’écrivanité est une habileté à n’exprimer rien de plus à ses contemporains que ce qu’ils consentent à savoir d’eux-même ; la littérature, quant à elle, ne dit à une époque que ce qu’elle refuse d’entendre.

Désespérer d’être compris : tel est le chemin de celui que la vie requiert pour une parole neuve.

Un critique littéraire est quelqu’un qui veut avoir le dernier mot d’une œuvre qu’il n’a pas écrite.

Le roman s’adresse au lieu d’où le monde se crée. Le traité philosophique, d’où il se comprend. Supériorité pratique du roman : il change le monde immédiatement.

Si on dit le réel, le pathos est entre les lignes ; si on dit le pathos, le réel n’est nulle part.

Un écrivain gagne à très vite laisser entendre pour qui il n’écrit pas.

Ce qu’on appelle le style est toujours le résultat d’un effort de vérité, jamais d’un effort de style. Qui cherche son style trouve une manière ; qui s’attache à un style perd une possibilité de l’écriture qui s’appelle la littérature. La véritable écriture tend vers l’abolition du style comme l’existence authentique vers la disparition de la personnalité. (Du coup, ils font de l’abolition un style…)

Le style est un souffle naissant d’un regard. Mais ils regardent leur style.

Il règnent sur leur style. Je sers mes livres.

La matière véritable de la littérature n’est pas la langue, mais la palette des distances, l’indéfinie totalité des regards possibles ensemble. Ce chaos dans l’ordre de la langue.

On peut écrire du point de vue de la laideur, mais que signifie la laideur, sinon la nostalgie de la beauté ? On peut écrire depuis cette nostalgie-là, et la laideur alors devient belle.

Souffrance ou joie, zénith de l’intensité : il n’est d’authentique écrivain qui n’ait un jour rencontré l’indicible. Perte de la langue ? Non. Perte d’un certain usage du langage : le langage comme milieu matriciel où, tout étant narrable, aucun vécu n’est à ce point singulier qu’il ne puisse se vivre qu’en solitude. Langage amniotique. C’est une fois traversée la solitude qu’est rendu viable cette autre voie : la littérature. Voix de l’inouï, qui dit ce qui jamais n’a fait l’objet d’aucun récit, et ne peut en faire l’objet. Langue de l’unique.

Beaucoup croient inventer de la littérature, quand ils ne sont que relais d’une nouvelle langue amniotique, secrétée par un certain milieu socio-culturel auto-constitué en matrice — forteresse contre les assauts de l’intense. Traverser cette perte du langage au surcroît du vivant.
Traverser la solitude, cette intime reconnaissance que tout est singularité, première, seule et unique fois. Naître écrivain.
La langue peut porter l’unique ! C’est l’homme qui, souvent, ne le supporte pas.

La vraie parole est silence agissant. Mais elle aussi est faite de mots.
Les mêmes mots. Mais vides.
Vider les mots de vouloir-dire.
Alors, ils se gorgent eux-même de sens.