CROIRE, SAVOIR ET CROIRE SAVOIR

La décision de ne pas croire appartient au registre de la croyance au même titre que la décision de croire.

Quand on ignore, on ne peut que croire ; quand on ignore qu’on ignore, on ne peut même plus croire.
On devient « savant ».

La matière n’est pas plus capable de fabriquer la conscience qu’un téléviseur ses émissions.

Le corps, bien sûr, ne peut percevoir que le corporel ; mais la pensée, qui ne se perçoit plus elle-même, affirme : il n’y a que le corporel ! Sottise du siècle : la cécité érigée en dogme.

« Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes » ? Y a-t-il à croire en la lampe, où à observer ce qu’elle éclaire ?

Le Diable a raison, mais il n’a que raison. Il règne sur le déterminisme. Il affirme que Job est prévisible, qu’il le connait. Dieu soutient que Job est un mystère qui va les surprendre.
Dieu a la foi.
Le Diable a raison si l’homme se laisse expliquer en répudiant l’inexplicable. Mais si l’homme aime ou crée, il fait mentir celui qui ne sait qu’avoir raison.

Le choix humain : donner raison au menteur, ou faire mentir le raisonneur. C’est-à-dire : se soulager ou vivre. Car ce qui nous enchaîne aux causes et aux effets, c’est la logique de l’animal, ce fuyard de l’intense.
Vivre, ici, maintenant, là où ça souffre, là où ça jouit : être chair déjoue les leurres du Malin.

Laisser causer l’adorateur des causes, qui se réjouit d’être un effet de ce qu’il sait.

Le réalisme est faux, certain qu’il y a des choses.

Un scientifique n’a de pouvoir que sur un monde sans magie.
Le scientiste nie la magie pour avoir tout pouvoir sur le monde.
Les Lumières : une simple guerre de pouvoir ?

Il est certain que celui qui ne croit qu’aux lois dans la nature verra le monde lui donner raison. Celui qui veut la certitude l’achète toujours au prix du miracle. Celui qui désire le miracle au prix de la certitude.

Il n’est pas irrationnel de mettre la rationalité à sa place.

  • Tout est livré au hasard.
  • Par quel hasard ce que tu dis serait-il vrai ?

Un tort des nazis n’était pas de cultiver la force, mais de ne croire qu’en elle. De même, on peut être rationnel sans être rationaliste.

Ce qui échappe à la démarche scientifique est ce qui se refuse à la mesure, le qualitatif pur : une sensation, un sentiment, un horizon de sens… Tout ce qui relève de la chair.
L’affirmation selon laquelle ce qui transcende la mesure est par principe réductible au domaine de la démarche scientifique est une affirmation non pas scientifique mais métaphysique, car elle porte sur la relation entre le domaine de la démarche scientifique et ce qui lui échappe. Le matérialisme scientifique est méthodologique ou métaphysique, ce qui veut dire qu’il n’est scientifique que dans la mesure où il est méthodologique.
Un matérialiste est un croyant.
La seule question philosophique pertinente que pose la croyance matérialiste est celle de son bénéfice. Tomber amoureux, voir naître son enfant, contempler un coucher de soleil… Que gagne celui qui est parvenu à se faire croire que les événements de son existence sont arrivés à son cerveau ?
Que le domaine sur lequel il règne n’ait pas de dehors. Régner sur le corps-sans-autre d’un monde dont on s’est soi-même abstrait.
C’est l’esprit du Malin : se placer dans un hors champ que l’on pose en même temps comme impossible, à l’abri de l’intensité charnelle au sein d’une pensée pure qui s’est niée dans son principe même.
La vie, privée de vie, perd son sens. Il faut ainsi toujours plus de domination pour croire échapper à la gueule béante du dieu-Chaos.

L’éveil : la conscience se connaît elle-même comme cela pour qui tout est autre.

L’autopositionnement de l’esprit scientifique est un simulacre de l’éveil. Prenant le tout pour objet, la conscience savante se pose en autre que tout tout en s’ignorant comme cela pour qui tout est autre.
La science est singe de l’illumination.

Il n’y a de matérialisme que pour une pure pensée s’ignorant elle-même.
Ainsi le fait du matérialisme en est-il la réfutation.

La volonté de savoir est compulsion à régner sans partage sur un objet sans autre dont le sujet du savoir, sans vouloir le savoir, est l’autre.
Ainsi l’homme du savoir se voue-t-il sans remède à l’inconnaissance de soi.

L’évolutionniste regarde la mutation comme une anomalie dans un univers de répétition. Le savant, dans sa compulsion à savoir, tient pour normal le ressassement des choses et s’alarmera de la moindre nouveauté.
L’artiste verra plutôt la création comme une règle et s’étonnera de ses exceptions.
Qui a une seule fois contemplé la nature rêvera d’un Darwin aux yeux d’artiste.
Oser, pour vivre, ce défi au savoir, cet appel à connaître : la nature crée.

On ne peut aller vers ce qu’on ne sait pas sans la destruction de tout ce que l’on sait, ce mensonge.

Ils savent les lois, non la limite des lois. Car ils veulent savoir sans limite.

Ils dévoilent le non-libre non par goût de la liberté, mais du savoir — dont ils sont ainsi prisonniers.

L’existence du savoir est un mythe.

Comme le sacheur moderne qui ne voit que la matière objet de son savoir est absent de son corps ! Regarder marcher un scientifique réfute la modernité.

L’esprit est pulsionnellement matérialiste, le corps instinctivement spiritualiste : oscillation de l’humain tant que la tâche de l’Unité n’est pas assumée.
(Un esprit subtil comprendra par là que le matérialisme est le signe paradoxal d’une ère de l’Esprit.)

Savoir, c’est parier sur la répétition des choses.

L’affirmation que rien n’échappe au savoir ne peut faire l’objet d’aucun savoir.

Il n’est de savoir que d’une proposition conditionnelle, ce qui signifie qu’il n’est de savoir que sous condition. L’affirmation du caractère potentiellement illimité du savoir résulte donc d’une méconnaissance de la nature du savoir.
Or, cet aveuglement est une conséquence de la décision de savoir.
En effet, la décision de savoir est celle de ne rien connaître de ce qui échappe au savoir. Mutilation de la connaissance, pour l’illusion de posséder un infini.
Savoir implique ainsi une triple ignorance : celle de la nature de la connaissance, celle de la nature du savoir, et celle du réel.

La logique aristotélicienne est fondée sur la décision existentielle de faire abstraction du temps. Le est de la proposition A est A est un présent d’éternité ; or, le principe d’identité prétend s’appliquer à des objets qui sont dans le temps. Dans le cadre de cette logique, l’énoncé d’une vérité se fonde donc sur la construction d’un simulacre d’éternité qui est en réalité une négation du temps.
C’est dans le monde de la science que le Moderne voudrait vivre. Ainsi est-il en guerre contre le temps.
L’urgence, le stress, symptômes aristotéliciens.

Le Moderne a commencé par décider discrètement de ne rien connaître du réel qui ne soit mathématisable, puis s’est extasié de cette correspondance merveilleuse entre les lois de son esprit et celles du monde.
Toute décision de savoir se fonde sur une décision d’ignorer qui doit elle-même être ignorée pour que tienne l’illusion du savoir.

La rationalité est une méthode de déduction à partir de la position d’un principe.
Deux conséquences.
Le choix d’un principe est a-rationnel.
Poser la rationalité en principe est irrationnel.

L’homme de savoir élimine passionnément du champ de sa perception tout ce que lui seul peut sentir.
Le savoir est un combat contre la solitude.
Le savoir élimine la singularité.