BÊTISE, INTELLIGENCE… VÉRITÉ

Certains philosophes parlent de la fin de la métaphysique comme un imbécile parlerait de la fin de l’intelligence.
Transformer les limites de son horizon de compréhension en loi universelle permet la pose au monde la moins passible de mise en question intellectuelle : celle de législateur en matière de sens.

La bêtise est décision d’ignorer le mystère décidant de s’ignorer elle-même, limitation de l’intelligence qui se croit loi de l’intelligence.

Quiconque part en guerre contre sa propre bêtise (c’est-à-dire : est philosophe) affronte inévitablement celle de son temps ; car il en est fait.

Le système ? Nous en sommes faits.

Faute d’oser cette vérité, quiconque prétendra lutter contre le système ne le fera jamais que depuis celui-ci.
Car c’est une force du système de savoir organiser le théâtre de sa propre contestation.
Tout rebelle qui dit « moi » est un pantin de la comédie du jour, un apôtre inconscient de ce qu’il croit combattre.

Toute question qui n’est pas métaphysique est un symptôme.

Plus je suis niais, plus je suis vrai. La niaiserie avisée, virginité de l’intelligence, est un non-savoir émerveillé.
Quelle force de déconstruction, quelle menace, quel scandale pour la mentalité des masses…
Si l’on exige de chacun l’exhibition publique d’un minimum d’intellectualité, c’est pour protéger les récits dont est tissé le monde commun de la puissance du niais. Impératif social de mimer celui à qui on ne la fait pas, l’averti qui toujours a déjà vécu, au moins pensé, tout ce qu’il vit.
Ainsi le Moderne, sommé de se poser en expert de sa propre existence, en ignore-t-il passionnément le mystère.

Ne plus raisonner, apprendre à résonner. N’être qu’espace de résonance.
Naître per-sonne.

Au pays des aveugles, les borgnes sont priés de fermer leur gueule.

La réalité a le droit d’être différente de mes peurs, mes attentes et mes représentations. Je lui donne ce droit. Sans quoi, distraitement, je la peins aux pauvres couleurs de mes pensées. Ce qui m’y conforte et m’y enferme sans remède, puisque la « réalité » les confirme.
On vit sa dimension créatrice comme on peut : le même ou l’autre ?
L’ego est l’impérialisme du même colonisant le monde ; la pensée moderne en a fait la dignité suprême de l’homme.
Devenir humain, c’est se consentir totalement passible de l’Autre.

La nature est innocente parce qu’elle se moque de l’innocence.

Chaque pensée ne sert qu’à fuir. Quand la conscience s’impose de demeurer dans l’être-là de la chair, vient un temps où penser cesse. Silence. La vie se révèle comme joie, au lieu même où son intensité se donnait comme souffrance.
Naît alors une pensée autre.

L’inquiétude cherche le sens derrière la lettre. Ainsi la lettre est-elle manquée, mais aussi l’esprit, qui n’est pas derrière, mais dans la lettre.
« Dans », au sens où l’on dirait que le mouvement est « dans » le corps qui bouge, la danse « dans » le corps du danseur…

Rien ne veut rien dire. Entendre le sens dans l’innocence : virginité de l’intelligence.

La vraie question est silence orienté vers l’unique.

J’appelle erreur une vérité qui n’a pas coûté cher. Vérité, une erreur qui crée.

La singularité d’une pensée tient dans sa totalité. Celle-ci n’est jamais pleinement donnée. Mais elle en constitue l’horizon : l’impossible et nécessaire expression langagière d’un regard. Le regard, lieu de l’unique, donne le monde. Le regard crée.
Pour cela, l’analyse d’éléments communs entre deux vraies pensées manquera toujours l’essentiel : ce souffle qui circule entre les éléments et les relie invisiblement, cette unité unique inexprimable et n’aspirant qu’à son expression.
Lire une oeuvre ou, aussi, entrer en relation avec un être humain vivant quelque chose de son humanité, c’est essayer un monde possible.
Ce qui est tout autre chose que laisser son propre regard recouvert par ce monde de tous et que l’on dit réel.

Le monde tient pour vrai ce qui le maintient en état.

Ne plus concevoir, pour que soit l’inconcevable.

L’affirmation est vraie. La négation est fausse. Le vrai est mélangé au faux dès que l’affirmation s’appuie sur la négation.
La vérité est positivité.
La positivité est fécondité.

J’appelle imbécile celui qui pense pour ne pas sentir.

En ce sens, bien des intellectuels sont des imbéciles professionnels.

Il n’y a que des manières de dire.
Mais alors, dire quoi ?

Adhérez à ma pensée et vous serez guéris de l’adhésion.

Le contraire d’une erreur est une erreur.

La philosophie, c’est l’esprit de contre-addiction.

Ne rien comprendre à ce monde de dingue est la marque d’une intelligence éveillée.

Vierge de savoir, m’étonner toujours ; prêt à chaque instant, n’être jamais surpris.

Tout est faux, car rien n’est tout.
Tout est vrai, car il n’est vérité que du tout.
Logique de la vie — lui donner corps !

Le parler juste provient du corps, d’une incorporation du sens.
Incarnation du Verbe.

La pensée vraie distingue pour servir l’Unité.

« Toute pensée est vraie dans ce qu’elle affirme et fausse dans ce qu’elle nie » : géniale intuition leibnizienne ; car une pensée ne peut nier qu’en dehors de son champ propre, et la négation est précisément le signe de cet errement épistémologique.
Ainsi la raison scientifique nie l’expérience religieuse ; les religions se nient les unes les autres ; les philosophies se construisent sur la réfutation de celles qui les ont précédées… De même que le moi, à l’adolescence, construit le champ de sa singularité par le rejet systématique de ses influences mais ne pourra accomplir celle-ci, adulte, que par l’affirmation paisible de son propre, une pensée mûre est pur oui.

Une pensée affirmative ne s’autorisera de nier que les négations des autres pensées.
Si elle a du temps à perdre.

Le réductionnisme est négation, celle de l’existence d’un champ autre.
Toute pensée réductionniste doit être reconduite à son champ propre.
Que cette opération réduise à chaque fois ses dimensions dévoile tout réductionnisme comme mégalomanie théorique.

Toute affirmation est vraie dans son champ propre.
Une affirmation fausse est une négation déguisée ou une vérité déplacée.

Une vérité ne trouve sa place qu’en lui accordant tout son contenu de vérité. Il convient donc de l’endosser pleinement, ce qui ne signifie pas y adhérer : car adhérer à une vérité, c’est refuser d’endosser son contraire. Or, on ne donne à une vérité la totalité de son contenu de vérité que lorsque on saisit en même temps la vérité de son contraire.

Rien de ce qui est ne rend raison du fait qu’il y a.

L’artiste trouve la beauté en cherchant la vérité ; le scientifique la vérité en cherchant la beauté. Formule du génie.
Beauté et vérité sont les deux pôles de l’être.

Candeur dit blancheur, virginité du regard inapte à percevoir ce qui ne se donne pas. C’est-à-dire à construire.
Toute la perception (dualité du monde et du moi) repose sur la mise en relation de ce qui apparaît avec ce qui n’apparaît pas et, conjointement, sur l’obscurcissement de ce qui, apparaissant, ne cadre pas avec cette relation. Construction, sélection impitoyable au cœur de la foison du donné. Perte de la candeur.
La voie de se refaire une virginité après cette absolue défloration de l’être appelle évidemment un miracle !
Ne pas s’attacher au caché. Ignorer l’inapparent. Folie de la vision pure. Dé-mence du sentir.
La profondeur est fiction. La vision pure est vertigineuse, car elle donne soudain ce qui fut occulté par la construction du moi et du monde. La recherche compulsive du caché, de la profondeur des choses, est fondée sur le sentiment diffus que la fiction du moi et du monde repose sur une occultation de l’apparaître pur, du foisonnement créateur du sensoriel. Mais l’on cherche alors avec le regard même qui a perdu ce que l’on cherche — et que la candeur seule révèle. Car l’occulté, pur apparaître, est totalement donné.